La mémoire collective a tendance à oublier les efforts de ceux qui ne furent pas envoyés se battre le fusil à la main, de ceux qui restèrent dans l’ombre, de ceux qui ne laissèrent aucune tombe après être mort au combat. Les services de renseignement des États furent créés, pour la plupart, entre la fin du XIXe et le début du XXe siècle, mais nous allons nous attarder ici au rôle qu’ils jouèrent durant la Seconde Guerre mondiale. Pour ce faire, nous allons décortiquer, chacun à leur tour, les réseaux français, anglais, américain, russe, allemand, italien et japonais.

 

Le Deuxième bureau français

Le Deuxième Bureau, ou l’espionnage ignoré – France

La France fut l’un des premiers pays à s’être doté d’un service de renseignement professionnel et géré par l’État. Créé en 1871 et étant sous l’autorité de l’armée, le Deuxième Bureau était en charge du renseignement sur les autres nations.

Les rapports fournis par le Deuxième Bureau sur les activités allemandes durant les années 30 étaient précis et alarmistes. Cependant, l’État-Major et le gouvernement ne prirent pas les mesures recommandées par ses agents. En 1939, il est dirigé par le colonel Rivet, ne devant répondre qu’au ministre de la Guerre et au commandant en chef des forces armées.

Lorsque la guerre éclata, le Cinquième Bureau se vit attribuer la charge du contre-espionnage. Les services français de protection des frontières, la Surveillance du Territoire, étaient bien rodés. Ayant multiplié leurs arrestations entre 1937 et 1939, ils avaient tout mis en oeuvre pour combattre une éventuelle « cinquième colonne ».

Ce service de contre-espionnage avait deux paliers. Le premier, formé d’officiers au sein d’une organisation baptisée « La Cagoule », devait infiltrer les organisations communistes françaises. Cette activité se décupla lors de la signature du pacte de non-agression entre l’Allemagne et l’URSS. Le second palier était en charge de la surveillance d’éventuels agents travaillant pour l’Allemagne ou l’Italie.

Le Deuxième Bureau avait prévenu l’armée de l’imminence d’une attaque allemande dans les Ardennes, mais l’État-major, formé en partie de vétéran de la Grande Guerre, jugeait que c’était une impossibilité militaire, l’Histoire nous prouva le contraire.

Après la défaite de juin 1940, le gouvernement de Vichy continua d’utiliser ces services, entre autres pour la répression de résistants et de communistes. Cependant, nombre d’agents des services de renseignements eurent tôt fait de jouer un double jeu et ce, dès 1941. Ils aidaient la cause des Alliés soit en les renseignant, soit en nuisant aux activités de l’occupant (souvent par une collaboration très peu concrète).

De leur côté, les Français libres avaient créés le Bureau Central de Renseignement et d’Action à Londres. Pendant l’occupation, le colonel Rivet et le capitaine Paillole, respectivement en charge de l’espionnage et du contre-espionnage, étaient en communication continue avec les gaullistes. Finalement, tous les services de renseignement des Français libres furent fusionnés dans la Direction générale des services spéciaux, sous l’autorité de Jacques Soustelle.

 

Les bureaux Military Intelligence britannique

Le légendaire service de renseignement britannique – Grande-Bretagne

Qui, de nos jours, ne considère pas les Britanniques comme les plus fins espions du monde ? Cette réputation, ils l’ont acquise par deux moyens : leurs exploits entre 1939 et 1945, et la série des James Bond.

Le Secret Service bureau fut fondé en 1909. Par la même occasion, on fonda les services de renseignement militaires, les bureaux MI (Military Intelligence). Les plus célèbres, et les plus importants, sont le MI5, chargé du contre-espionnage, et le MI6 (ou Secret Intelligence Service), chargé de l’espionnage.

Le MI5 et le MI6 étaient intimement liés et indépendants des autres organismes bureaucratiques britanniques. Pendant la guerre, ce fut le MI5 qui s’illustra le plus, en particulier dans ses bureaux de Betchley Park où les déchiffreurs alliés décodèrent des milliers de messages ennemis dans le cadre du projet ULTRA.

La guerre força les Britanniques à créer un nouvel organisme d’intervention : le Special Operation Executive, chargé de missions spéciales. Sabotage, coups d’éclat, désorganisation, aide à la Résistance, voici quelles étaient les tâches du SOE qui devint bientôt plus célèbre que le MI6.

 

L'insigne du MI5

L’insigne du MI5

Bien que travaillant ensemble, ces services devinrent vite des rivaux qui tentèrent d’acquérir plus de gloire les uns que les autres. Le gouvernement dut créer un comité, le W Board, pour coordonner leurs efforts et combattre cette rivalité.

Dans l’ensemble, les services de renseignement britanniques s’avérèrent très efficaces, en particulier le MI5 qui berna l’Abwehr à de multiples reprises. Le MI6, pour sa part, connut passablement de difficultés, notamment lorsqu’il tomba dans un piège des services allemands aux Pays-Bas en novembre 1939 où deux de ses agents furent capturés. Ce fut le célèbre « incident de Venlo ».

 

Le Signal Intelligence Service américain

Les débuts d’un des plus grands réseaux d’espionnage du monde – USA

Les États-Unis étaient en retard sur les nations européennes à bien des niveaux, en particulier au niveau des services de renseignement. Le Signal Intelligence Service ne fut fondé qu’en 1929 par le colonel Friedman. Pour sa part, la Marine disposait du Communication Security Unit.

Un service d’intervention, comparable au SOE britannique, fut créé le 13 juin 1942 : l’Office of Strategic Services, ancêtre de l’actuelle CIA. Il s’illustra lors de nombreuses missions en Europe et dans le Pacifique.

Les cryptanalystes américains s’avérèrent cependant redoutables dans leur tâche et ils réussirent à casser le code diplomatique japonais avant même le début de la guerre. Le code naval japonais, le JN-25, fut cependant extrêmement difficile à comprendre.

Le plus grand exploit du OP-20-G, nom de code du service de décryptage de la Marine, fut de prévoir l’attaque sur Midway le 3 juin 1942. Par la même, il permit la première victoire alliée dans le Pacifique.

Le FBI de J.Edgard Hoover se chargeait du contre-espionnage sur le territoire américain. Jouissant d’une grande liberté de mouvement, il fut responsable de l’internement de milliers de personnes, majoritairement d’origine nipponne. Cela dit, il réussit à stopper net toute tentative d’infiltration allemande ou nipponne aux États-Unis.

 

J. Edgar Hoover

J. Edgar Hoover – Photo : Library of Congress, Prints and Photographs Division, Washington

Le GRU soviétique

Les prémices de la Guerre Froide – URSS

L’URSS n’avait pas attendu la guerre pour élaborer un vaste réseau d’espionnage dans toute l’Europe. Le GRU, le bureau d’espionnage de l’Armée Rouge, avait prédit toutes les actions de Hitler avant 1939. Il avait prévenu le gouvernement soviétique qu’une fois la Pologne vaincue, l’Allemagne s’en prendrait à la France, à l’Angleterre et après, à l’URSS. Il ne fut pas écouté. La date même de l’invasion de l’URSS fut transmise au gouvernement par leur agent de Tokyo, Richard Sorge.

Le GRU avait un réseau d’espionnage établi dans chaque pays européen et baptisé « Rote Kapelle » (Orchestre Rouge) par les Allemands. Se servant des réseaux communistes de tous ces pays, ce service s’avéra extrêmement efficace et difficile à arrêter. Cependant, les Allemands purent les stopper dans les pays occupés, c’est pourquoi le QG de ce réseau se trouvait en Suisse.

Les services de renseignement de l’Armée Rouge eurent beaucoup de mal à s’adapter aux réalités de la guerre. Ainsi, l’état-major soviétique devait appuyer ses stratégies sur les rapports d’agents en activité à plus de 1000 km du front….

En matière de sécurité intérieure, l’URSS disposait du NKVD, chargé de la sécurité du territoire. Cette police secrète, ancêtre du KGB et tristement célèbre pour ses exactions envers la population, s’avéra inéfficace face à l’Abwehr. C’est dans cette perspective que fut créé le SMERSH.

Cet acronyme de Smert Shpionam, « mort aux espions », désigne le bureau de contre-espionnage soviétique créé en 1943. Indépendant de l’armée, il ne devait répondre qu’au commissaire à la Défense.

Cet organisme exécuta sa tâche, liquidant quiconque était soupçonné d’espionnage après un interrogatoire sommaire, mais brutal. Le SMERSH monta en puissance durant toute la guerre, s’attaquant même à des hauts gradés soviétiques.

Craignant la naissance d’un organise capable de rivaliser avec l’État, ce dernier le démantela en 1946 et transféra ses dossiers au ministère de la Sécurité d’État.

 

L’Abwehr allemand

Une efficacité discutable – Allemagne

La mise en place de services de renseignement fiables était l’une des priorités du IIIe Reich. Cependant, la complexité de l’administration allemande nuisit considérablement à cette entreprise. La Wehrmacht disposait de nombreux organismes d’espionnage et de contre-espionnage, chacun œuvrant pour sa propre cause. De tous ces services, un se distingua : l’Abwehr (défense).

Les services de renseignement allemands n’avaient aucun organisme unificateur. De plus, dans un ordre du Führer de 1940, il fut ordonné que personne ne devait recevoir plus d’information qu’il ne lui était nécessaire…. De ce fait, les renseignements des services allemands étaient souvent fragmentaires.

Contrairement aux Britanniques, les Allemands considéraient qu’une guerre se gagnait par la force des armes et non par les renseignements, grave erreur s’il en est. Au fur et à mesure que la situation se retournait contre eux, les Allemands changèrent de point de vue et investirent plus de confiance dans leurs services de renseignement.

L'amiral Wilhelm Canaris

L’amiral Wilhelm Canaris

 

Pendant la guerre, ces services dépendaient de trois organes : la SS, le gouvernement et la Wehrmacht. La Sicherheitdienst (SD) dépendait de la SS, et était donc politisée et vouée à servir le national-socialisme. Ainsi, elle était en charge de la sécurité du territoire, entre autres au niveau politique. Elle travaillait en collaboration avec la Gestapo. De toute façon, Himmler controllait la SS et la Gestapo, bien qu’Heydrich s’en chargea plus particulièrement.

Le gouvernement lui-même disposait de deux bureaux, l’un d’espionnage des médias et l’autre de contre-espionnage et de cryptographie, aux ordres de Göring.

Enfin, la Wehrmacht disposait de plusieurs bureaux, dont l’Abwehr. Cette dernière était présente en Allemagne, dans les territoires occupés et chez ses alliés et des neutres. Cependant, chaque organe militaire (Heer, Luftwaffe et Kriegsmarine) disposait de bureaux de renseignements, pas toujours enclin à partager leurs informations.

Depuis 1935, l’Abwehr était dirigée par l’amiral Canaris. Compétent et intelligent, Canaris transforma l’Abwehr en une organisation moderne et efficace. En 1939, l’Abwehr fut rattachée à l’OKW.

L’Abwehr se chargeait de l’espionnage « traditionnel », en envoyant des espions un peu partout et en traquant les agents ennemis. L’analyse de messages et le décryptage dépendaient de chaque corps d’armée.

La SD et l’Abwehr se livrèrent à une guerre d’influence pendant toute la guerre, cette première ne la jugeant pas politiquement sûre ; du reste, elle ne l’était pas. Cependant, l’Abwehr ne réussit jamais à instaurer un réseau d’espionnage durable aux États-Unis et en Grande-Bretagne. Cependant, ses activités de contre-espionnage aboutirent à certains succès retentissants.

Avec l’ opération « Englandspiel », en fin 1939, l’Abwehr put mettre la main sur des agents du SOE et du MI6. En 1943, elle détruisit l’organisation d’espionnage et de résistance soviétique en Europe, le Rote Kapelle.

Après la défection de plusieurs agents et les rapports alarmistes de la SD, Hitler décida le 12 février 1944 de mettre l’Abwehr sous l’autorité de Himmler. Il renvoya même Canaris de Berlin. Après l’attentat du 20 juillet 1944, l’amiral fut arrêté et exécuté comme complice. S’il est vrai qu’il connaissait l’existence du complot et l’avait laissé suivre son cours, il n’y avait pas participé activement.

 

Le Servizio Informazioni Militari italien

Le règne de la confusion – Italie

Si l’Allemagne se perdait en conjecture et multipliait les bureaux de renseignement, l’Italie était bien pire. La rivalité interservices et l’ignorance des champs de compétence de chacun rendirent l’espionnage italien bien moins efficace qu’il n’aurait pu être.

La principale organisation de contre-espionnage italienne dépendait de l’armée, c’était la Servizio Informazioni Militari. Bien qu’assez efficace, ce bureau était concurrencé par les services de la marine (SIS) et de l’aviation (SIA), bien que ce dernier s’avéra assez peu efficace.

De plus, chaque théâtre d’opérations avait son propre service de renseignement, ce qui ralentissait énormément les informations. Chacune devait passer par un nombre d’officiers jusqu’à ce qu’elle rejoigne l’état-major qui, alors, pouvait émettre des ordres….

La police italienne se chargeait de la sécurité du territoire et de la fiabilité politique des diverses agences de renseignement. Elle remplissait, à ce titre, le même rôle que la Gestapo, mais elle était moins stricte que celle-ci.

Devant l’incapacité de Mussolini à comprendre la nécessité d’unifier et de coordonner les services de renseignement, la situation n’évolua en rien pendant la guerre.

Bien qu’ayant réussi quelques bonnes opérations, telles que le déchiffrage des communications yougoslaves en 1941, l’espionnage italien n’obtenait que rarement des résultats fiables.

De toute façon, l’état-major italien avait une forte tendance à ignorer les rapports des services d’espionnage et à se fier à son instinct militaire. Les résultats furent les campagnes désastreuses de France et de Grèce où les armées italiennes, largement supérieures en nombre, furent battues à plate couture.

 

Les services de renseignements japonais

Une tradition de l’espionnage – Japon

Le Japon avait compris depuis la fin du XIXe siècle l’importance d’avoir un bon service de renseignement. Ainsi, plusieurs organisations furent créées au début du XXe siècle et aidèrent grandement le Japon. La victoire contre la Russie en 1905 découle, en partie, de l’excellence des renseignements japonais.

Avant la Seconde Guerre mondiale, l’armée disposait des tokumu kikan, les Organisations des Services Spéciaux, spécialisés dans l’espionnage et le sabotage.

Le ministère des Affaires étrangères disposait également d’un service politique, afin d’assurer la sécurité interne. Elle était également assurée par la Kempei, sorte de police politique.

Les renseignements japonais firent un travail presque parfait avant l’entrée en guerre du Japon en 1941. Ils avaient cassé les codes militaires et diplomatiques britanniques et américains. Ce faisant, leurs estimations sur les forces des Alliés dans le Pacifique étaient très justes.

C’est grâce à cela que le Japon pu mener une campagne victorieuse pendant les six mois suivants Pearl Harbor. Cependant, après la bataille de Midway, les services de renseignements japonais connurent de graves problèmes.

La coordination inter-services laissait à désirer. De plus, l’armée était peu encline à suivre les conseils des espions. La voie du Samouraï et le combat direct étant plus honorables que la ruse…

Ainsi, les services de renseignement étaient ignorés et sous-équipés, l’entièreté du budget allant aux militaires. De leur côté, les Alliés ne cessèrent de perfectionner leurs services et finirent par dominer leurs rivaux nippons dès 1942.