Japon, 1941

Cuirassés rapides japonais

Le Yamato et le Musashi furent les premiers et derniers cuirassés rapides de la marine Japonaise. Ils furent également les plus puissants navires de guerre jamais construits. En 1932, le moratoire du traité de Washington prit fin. Il était désormais possible d’étudier la nouvelle génération de navires de ligne destinée à remplacer les dreadnoughts. Connus sous le nom de « super-dreadnoughts », ou plus éclairant de cuirassés rapides, ces nouveaux bâtiments furent longtemps différés du fait de la persistance de limites draconiennes imposées par le traité en termes de tonnage comme de calibre d’artillerie. De ce fait, ce n’est que lorsque la guerre devint inévitable que la plupart des Nations lancèrent la construction de ce type d’unités. Auparavant, tous les cuirassés construits s’apparentaient plus à des croiseurs de bataille, à l’instar des Dunkerque Français ou des Scharnhorst Allemands. En 1940 et 1941, de nombreux navires de ligne qui méritaient pleinement l’appelation de cuirassés rapides sortirent enfin des chantiers. Ils s’agissait des deux premiers de la classe King Georges V Britannique, du redoutable Bismarck Allemand, du Jean Bart et du Richelieu Français, du Litorrio et du Vitorrio Veneto Italiens, et du North Carolina et Washington Américains. Aucun ne respectait les limites du traité en matière de tonnage, que la survenance du conflit avaient rendues caduques.

 

Le Yamato en 1945.

Le Yamato en 1945.

Les Japonais, eux, préparaient en secret un bâtiment nettement plus évolué, puisqu’il « court-circuitait » la catégorie construite ailleurs dans le monde pour aller directement à la génération suivante: Celle du « super-cuirassé rapide ». Il s’agissait clairement de construire un bâtiment de supériorité navale absolue, tant en blindage qu’en armement principal. En effet, il devait adopter le calibre interdit par le traité et reporté par les alliés, le 457 mm. En réalité ces bâtiments japonais en revendiquaient 360, avec une portée de plus de 45 000 mètres. Chaque tourelle une fois achevée, pesait plus de 2530 tonnes, soit le poids d’un destroyer. Leur blindage facial était épais de 65 centimètres ! Chaque canon pesait 280 tonnes. La totalité du blindage, qui dépassait de loin tout ce qui avait été vu ou même imaginé par les ingénieurs, freinés par les budgets, avait été réalisé. De fait, au final, ces navires devaient jauger 70 000 tonnes à pleine charge, le double prévu par le traité de Washington (35 000). Il faudra attendre le lancement du porte-avions nucléaire USS Enterprise en 1960 pour atteindre de tels sommets. Le Bismarck lui-même, fierté du IIIe Reich et bête noire de Churchill, en revendiquait 20 000 de moins. Les deux Yamato étaient, jusque dans l’histoire de leur conception, l’objet de tous les superlatifs. Pas moins de 23 projets furent étudiés à partir de 1937. On construisit d’ailleurs des cales de radoub et bassins de construction spécialement adaptés, et ils furent recouverts d’immenses filets de camouflage de plus de 400 tonnes pour conserver le secret absolu. Tous ceux qui travaillaient sur ce projet furent d’ailleurs contraints à des règles de discrétion draconiennes. Leurs énormes canons nécessitèrent la construction du Kashino, un cargo-grue spécialement adapté pour le transport des canons de la fonderie à l’arsenal.

Le Yamato fut mis en chantier en novembre 1937 à Kure, lancé en août 1940 et achevé en décembre 1941, 9 jours après Pearl Harbor. Le Musashi fut entamé à Nagasaki, aux chantiers Mitsubishi, en Mars 1938, lancé en novembre 1940 et achevé en août 1942. Le 4e programme supplémentaire de 1937 prévoyait également la construction de deux autres unités, le Shinano et le N°111 (jamais baptisé), à Yokosuka et Kure, lorsque le Yamato serait lancé. La construction du premier subit de nombreux délais mais il fut finalement achevé, en 1945, lorsque la priorité allait aux porte-avions. En conservant toute la cuirasse, il devenait du même coup le plus lourd porte-avions de seconde guerre mondiale, et le seul véritable porte-avions cuirassé jamais construit. Ils disposaient de tourelles triples de 155 mm, quatre, dont deux en ligne à l’avant et à l’arrière, et deux latérales, enlevées en 1943 pour renforcer l’artillerie antiaérienne. Celle-ci était relativement modeste, avec au départ 24 pièces de 25 mm et 4 mitrailleuses, en plus de ses pièces de 100 mm. En 1943, les deux unités reçurent 36 canons de 25 mm en 1943, 98 en 1944 (avril), 113 en juillet 1944, à la veille de la bataille de Leyte, et 150 en 1945. Le Musashi en avait 130 à la veille de sa dernière bataille en octobre 1944. Ils avaient d’autres particularités, comme leur très longue coque, destinée à centre au maximum le poids des tourelles principales, avec une superstructure en tour blindée relativement modeste, des embarcations de sauvetage reléguées dans des « hangars » latéraux à l’arrière de la coque et lancées sur des rails, et un hangar et deux catapultes pour pas moins de 7 hydravions.

En 1940, il était prévu de leur donner une succession, reportée sous les numéros 798 et 799. Il s’agissait de navires encore plus gigantesques, alignant 6 pièces de 508 mm en trois tourelles doubles, avec un blindage de plus de 470 mm, et un tonnage frisant les 90 000 tonnes. Une classe de quatre croiseurs de bataille (B64) était également prévue afin de seconder les Yamato, se présentaient un peu comme des Yamato en modèle réduit (32 000 tonnes), armés de 9 pièces de 310 mm. Leur construction fut approuvée en 1942, mais la survenance d’autres priorités les fit annuler.

En opérations, les deux géants furent bien entendus connus des alliés, l’amirauté Américaine décidant de réviser les cuirassés rapides devant succéder aux South Dakota pour répondre à ces mastodontes, initialement prévus pour contrer les Kongo, aboutissant aux quatre Iowa en 1943-44. Ils n’eurent cependant ni l’un ni l’autre l’occasion de se mesurer à leurs semblables. A la bataille de Leyte, les deux navires faisaient partie de l’escadre de Kurita, la plus importante. Elle devait fondre sur la flotte amphibie Américaine faiblement défendue par quelques porte-avions d’escorte et leurs destroyers. Lorsque le Musashi, portant la marque de l’amiral, arriva dans le golfe de Sinyan, il avait été repéré par un appareil de l’USS Intrepid, et fut pris à partie par plusieurs vagues de bombardiers et d’avions torpilleurs américains selon un procédé mis en pratique à Midway : les torpilleurs, les TBM Avenger, arrivaient au ras des flots, focalisant sur l’horizon l’attention des artilleurs Nippons, tandis que peu après les Curtiss Helldiver plongeaient par surprise sur le bâtiment. C’est ainsi que le Musashi fut d’abord frappé, le 24 octobre, à 10 h 27, par une torpille et une bombe, qu’il encaisse sans trop de difficultés. Mais douze minutes plus tard, il reçoit de la seconde vague 4 torpilles. Il va essuyer encore quatre autres vagues de l’aéronavale Américaine, et à 15 h 20, il avait déjà encaissé 6 autres bombes, lorsqu’une nouvelle attaque lui vaut 10 coups au but (dix torpilles) et d’autres impacts de bombes. Le léviathan est alors ingouvernable, immobilisé, ayant encaissé au total 19 torpilles et 17 bombes, et n’est, de la proue à la poupe, plus qu’un immense brasier que les matelots quittent en masse. A 19 h 35, il chavire, et coule, l’eau rentrant à gros bouillons par ses énormes ouvertures de tourelles, qui, vidées, avaient piqué droit vers le fond. L’énorme masse calcinée aspire et entraîne avec elle 39 officiers et 984 marins…

Le Yamato repoussera de son côté des attaques de destroyers et les appareils de l’US Navy se faisant de plus en plus précis, il se retire à l’arrière de l’escadre à 7 h 54, comptant sur la portée de ses pièces pour finir le travail. Il s’agit aussi d’éviter de le perdre comme le Musashi la veille. Il survivra à la bataille, n’étant pas engagé totalement. Réparé de ses rares avaries, il restera plus ou moins inactif jusqu’à l’attaque d’Okinawa en avril 1945. Les Japonais envoient certaines de leurs dernières unités disponibles, la deuxième flotte Japonaise, attaquer les navires Américains de la force d’invasion. Le commandant du Yamato à des ordres précis: Il doit s’échouer volontairement à Okinawa pour servir de batterie côtière « insubmersible ». En compagnie du Yahagi, et de leurs escorte de destroyers, sans couverture aérienne, il est repéré par le USS Hackelback. Aussitôt des dizaines d’appareils décollent des porte-avions. Avant même d’approcher d’Okinawa, les attaques se succèdent et très vite le Yahagi et trois destroyers sont coulés, deux autres mis hors de combat. La tragédie du Musashi recommence. Le Yamato va encaisser 13 torpilles et 6 bombes lancés par 376 appareils qui se succédèrent en plusieurs vagues, avant de sombrer finalement. Sa DCA aura eu raison de 10 appareils Américains.

 

Spécifications techniques

Déplacement 62 300 t. standard -69 990 t. Pleine Charge
Dimensions 263 m long, 37 m large, 10,40 m de tirant d’eau
Machines 4 hélices, 4 turbines, 12 chaudières, 150 000 cv.
Vitesse maximale 27 nœuds
Blindage Ponts 230-203, blockhaus 500, ceinture 406, tourelles 650, barbettes 546
Armement 9 canons de 460 (3×3), 6 de 155 (2×3), 12 canons de 127 (6×2), 130 de 25 mm AA, 7 avions
Équipage 2 500