URSS
Dates : 5 – 16 juillet 1943.
L’« Opération Zitadelle » (Citadelle en allemand), ou bataille de Koursk, fut l’une bataille décisive de la Seconde Guerre mondiale. Elle reste dans les mémoires comme le plus grand affrontement de blindés de l’histoire des guerres, et connut le jour le plus meurtrier pour l’aviation de l’histoire. Bien qu’à l’origine prévue comme une offensive allemande, la défense soviétique et le succès de la contre-offensive qui s’ensuivit l’ont transformée en une victoire du camp adverse. La bataille a joué un rôle majeur dans la propagande soviétique, qui a fortement exagéré l’issue du conflit.
Situation
L’armée allemande s’appuyait sur des forces blindées importantes afin de percer les lignes russes à la vitesse de l’éclair, technique connue sous le nom de Blitzkrieg. Elle n’était donc en mesure d’assurer cette offensive que pendant l’été, lorsque la chaleur continentale avait suffisamment asséché les terres pour permettre aux chars d’assaut de rouler à pleine vitesse. Le front de l’Est avait donc évolué en une série d’avances allemandes durant l’été, suivies par des contre-attaques russes durant l’hiver.
Pendant l’hiver 1942, les Soviétiques avaient remportés la bataille de Stalingrad, capturant la VIe arme allemande (300 000 hommes) du maréchal Paulus, ce qui affaiblit sérieusement les forces allemandes à l’Est. Avec les sérieuses menaces d’invasion de l’Europe de l’Ouest, Hitler réalisa qu’une défaite des forces soviétiques avant que les Alliés de l’Ouest ne portent la guerre en Europe serait impossible, et il décida de contraindre l’URSS à une paix séparée.
En 1918, les Allemands avaient construit la ligne Hindenburg sur le front de l’Ouest, raccourcissant leur ligne de front et augmentant ainsi leur puissance défensive. Ils prévoyaient de répéter cette stratégie en Russie et commencèrent la construction d’une série d’ouvrages défensifs connus en tant que ligne Panther-Wotan. À la fin 1943, ils devraient se retrancher derrière cette ligne et épuiser les forces soviétiques tout en se rétablissant.
En février et mars 1943, Erich von Manstein avait achevé une brillante offensive durant la deuxième bataille de Kharkov, laissant la ligne de front de Leningrad au nord à Rostov au sud. Au centre se trouvait un profond saillant de 200 kilomètres de largeur et de 150 kilomètres de profondeur entre la position avancée allemande d’Orel au nord et la capture récente de Manstein : Kharkov, au sud.
Plans allemand
Manstein insista pour une nouvelle offensive basée sur les même principes à succès qu’il venait de suivre à Kharkov, quand il avait encerclé l’offensive soviétique trop avancée. Il suggéra de bluffer les Russes, d’attaquer au sud contre la VIe armée qui se reformait désespérément, pour les mener dans le bassin du Donetz dans l’est de l’Ukraine. Il tournerait alors au sud depuis Kharkov sur le bord est de la rivière Donetz vers Rostov pour piéger la totalité de l’aile sud de l’armée rouge contre la mer d’Azov.
L’OKW (le quartier général allemand) n’approuva pas ce plan, et au contraire tourna son attention sur la bosse évidente dans les lignes entre Orel et Kharkov. Il y avait trois armées allemandes complètes dans et autour du saillant. Le prendre en tenaille permettrait de capturer presque un cinquième des ressources humaines de l’Armée Rouge. Il en résulterait aussi une ligne de front beaucoup plus droite et courte. Enfin, la ville de Koursk, hautement stratégique pour son nœud ferroviaire situé sur la principale ligne nord-sud allant de Rostov à Moscou, serait capturée.
En mars les plans étaient prêts. La IXe armée de Walther Model attaquerait au sud depuis Orel pendant que la IVe armée Panzer de Hoth et le détachement de Kempf sous le commandement global de von Manstein attaquerait du nord depuis Kharkov. Ils devaient se rencontrer près de Koursk, mais si l’offensive allait bien ils étaient autorisés à continuer suivant leur propre initiative, avec pour objectif général de créer une nouvelle ligne sur la rivière du Don, loin vers l’est.
À l’inverse des efforts récents, Hitler donna au quartier général un contrôle considérable sur la planification de la bataille. Pendant les quelques semaines suivantes il continua d’augmenter l’ampleur des forces attachées au front, retirant à la totalité des lignes allemandes tout ce qui pouvait être utile à la confrontation prochaine. Le déclenchement fut d’abord prévu pour le 4 mai, puis retardé jusqu’au 12 juin, et finalement lancé le 4 juillet pour donner plus de temps à la livraison des nouvelles armes depuis l’Allemagne, en particulier les nouveaux chars Panther.
Il convenait de mettre en parallèle ce plan avec la traditionnelle, et réussie, tactique de la Blitzkrieg utilisée jusqu’à ce point. La Blitzkrieg nécessitait le groupement de toutes les troupes disponibles sur un seul endroit de la ligne ennemie pour la percer, et ensuite avancer aussi rapidement que possible pour isoler les forces du front du ravitaillement et de l’information. Les combats directs devaient être évités à tout prix, car il n’y avait aucun avantage à attaquer un point fortifié si le même résultat pouvait être obtenu en attaquant les camions de l’intendance. La meilleure place pour la Blitzkrieg était celle la moins attendue, c’est pourquoi la Wehrmacht avait attaqué au travers des Ardennes en 1940.
Or, l’Opération Zitadelle de l’OKW était l’antithèse de ce concept. Le point d’attaque était grandement prévisible pour toute personne disposant d’une carte, et reflétait une pensée issue de la Première Guerre mondiale plus que celle de la Blitzkrieg. Plusieurs commandants allemands soulevèrent la question, notamment Heinz Guderian qui demanda à Hitler « Est il nécessaire d’attaquer Koursk, et par principe dans l’Est cette année ? Pensez vous seulement que quelqu’un sait où est Koursk ? ». Étonnamment, Hitler répondit « Je sais. Cette pensée me retourne l’estomac ».
Finalement, il peut être affirmé que c’était un plan sans inspiration.
Plans soviétiques
L’Armée rouge avait aussi planifié ses propres offensives estivales, et avait choisi un plan qui était le miroir de celui des Allemands. Les attaques frontales d’Orel et de Kharkov devaient écraser la ligne de front, et potentiellement conduire à une percée près des marais Pripyat. Cependant il y avait une inquiétude considérable à propos des plans allemands.
Toutes les attaques allemandes précédentes avaient laissé les Soviétiques deviner d’où elle pourraient venir, et dans ce cas Koursk semblait trop évident pour que les Allemands l’attaquent. Cependant ils étaient informés des plans allemands par un réseau d’espions en Suisse.
Staline et une poignée d’officiers de la Stavka (quartier général soviétique) voulaient frapper les premiers. Ils pensaient que l’histoire démontrait qu’ils ne pouvaient s’opposer aux offensives allemandes, tandis que l’action pendant l’hiver était désormais efficace. Cependant le conseil presque unanime de la Stavka, en particulier Gheorghi Joukov, était d’attendre d’abord que les Allemands s’épuisent eux-mêmes dans leur attaque. Son opinion emporta la discussion.
Le délai allemand pour lancer leur offensive donna aux Soviétiques quatre mois pour se préparer, et chaque jour qui passait faisait du saillant l’un des endroits les mieux défendus au monde. L’Armée rouge disposa plus de 400 000 mines et creusa environ 5 000 kilomètres de tranchées, avec des positions parfois reculées de 175 kilomètres. De plus, ils massèrent une énorme armée, incluant 1 300 000 hommes, 3 600 tanks, 20 000 pièces d’artillerie et 2 400 avions. Ils étaient inquiets quant à la quantité de ces renfort, car dans le passé, les Allemands avaient dépassés leurs lignes avec une aisance déconcertante.
Les Allemands étaient bien avertis des défenses soviétiques. Ils ne changèrent cependant pas d’objectifs et les raisons de leur obstination demeurent un mystère.
Opération Zitadelle
Les Allemands mettaient en ligne 200 de leur nouveau char Panther, 90 Elefant (chasseur de chars), tous leurs Henschel Hs 129 (avion d’attaque au sol), les Tigre I et le modèle le plus récent de Panzer IV. Au total, ils avaient rassemblé 2 700 chars et canons d’assaut, 10 000 canons, 1 800 avions et 900 000 hommes. C’était la plus grande concentration de puissance militaire allemande jamais réalisée. Hitler exprima, tout de même, des doutes sur sa rationalité.
Les préliminaires des combats commencèrent dans l’après-midi du 5 juillet lorsque des Stukas bombardèrent un espace de 3 km entre les lignes du nord pendant une courte période de 10 minutes, pendant que l’artillerie commençait un tir de barrage. Le fer de lance blindé de Hoth, le IIIe corps Panzer, avança vers les positions soviétiques autour de Savidovka. En même temps le régiment de panzergrenadiers « Großdeutschland » attaqua Butovo sous une pluie torrentielle, et les hauteurs autour de Butovo furent prisent par la XIe division Panzer. À l’ouest de Butovo, le régiment Großdeutschland et la IIIe division Panzer, qui rencontrèrent une forte résistance soviétique, ne sécurisèrent pas leurs objectifs avant minuit.
Dans le sud, le IIe SS Panzerkorps lançait ses attaques préliminaires pour sécuriser les postes d’observation, et rencontra également une résistance déterminée jusqu’à ce que les troupes d’assaut équipées avec des lance-flammes nettoient les bunkers et les avant-postes. À 22h30 les Soviétiques répliquèrent par un bombardement d’artillerie qui, aidé par la pluie torrentielle, ralentit l’avance allemande. À ce moment Joukov avait été informé du début de l’offensive par des prisonniers allemands et décida de lancer un bombardement préventif sur les positions allemandes.
La vraie bataille débuta le lendemain. Les Soviétiques, maintenant avertis de l’heure précise de l’offensive, commencèrent un barrage d’artillerie massif dix minutes avant. Barrage qui fut bientôt suivit par une attaque massive par la VVS (armée de l’air soviétique) sur les bases de la Luftwaffe du secteur, afin d’éliminer le support aérien local dans la première heure de la bataille. Les quelques heures suivantes furent probablement le plus grand combat aérien de l’Histoire. La Luftwaffe se défendit avec succès et perdit très peu de son pouvoir de combat, mais à partir de ce moment sa maîtrise du ciel fut fortement contestée.
La IXe armée Panzer dans le nord se trouva presque incapable de bouger. Dans les premières minutes de l’offensive, elle se trouva prise dans un grand champ de mine défensif, eut besoin du soutien de sapeurs et dut se dégager sous le feu de l’artillerie. L’armée de Model avait moins de chars que von Manstein dans le sud. Il utilisa aussi une tactique différente, utilisant seulement certaines unités alternativement pour les garder en réserve. Habituellement, les Allemands attaquaient avec toutes les unités disponibles pour maximiser leur effet. Ils pouvaient le faire grâce à l’entraînement supérieur des sous-officiers et des soldats. Cependant, Model n’utilisa pas cette tactique pour des raisons inconnues.
Après une semaine, les Allemands avaient progressé de seulement 10 km dans les lignes, et le 12 juillet, les Soviétiques lancèrent leur aile nord contre la IIe armée à Orel. La IXe armée dut être retirée et sa part dans l’offensive était terminée. Le rapport entre leurs pertes et celles de l’Armée Rouge était de 3 pour 5. Ceci était cependant bien pire qu’habituellement, et très loin de ce qui était nécessaire pour équilibrer avec le flux des nouveaux soldats et matériels pour l’Armée rouge.
Dans le sud les choses allèrent un peu mieux pour les Allemands. Les blindés ouvrirent une brèche, et le 6 juillet, ils étaient environ 30 km derrière les lignes dans la petite ville de Prokhozovka. Sans l’atout de la surprise et contre un ennemi retranché et supérieur en nombre, ce résultat était presque un succès.
L’Armée rouge fut forcée de déployer en défense les troupes initialement planifiées pour n’être utilisées que dans la contre-offensive. Cependant, le flanc allemand n’était pas protégé, car les divisions de Kempf était immobilisées par la VIIe armée de la garde et par une forte pluie (après avoir traversé la rivière Donets). La Ve armée de chars de la garde était située à l’est de Prokhozovka et préparait sa contre-attaque quand le IIe SS Panzerkorps arriva et un combat intense s’engagea. Les Soviétiques parvinrent à arrêter les SS, mais de justesse. Il y avait désormais peu de chars pour stopper la IVe armée Panzer, et il apparaissait qu’une percée allemande était désormais bien possible. Les Soviétiques décidèrent de déployer le Ve corps de la garde.
Prokhozovka
Le 12 juillet la Luftwaffe et l’artillerie bombardèrent les positions soviétiques pendant que les divisions SS se groupaient. Traditionnellement cette bataille a été décrite comme cela : l’avance allemande s’engagea mais ils furent surpris de voir les masses de blindés soviétiques avancer vers eux. Ce qui suivit constitua le plus grand engagement de blindés de l’Histoire, avec plus de 1 500 chars en contact proche. Les forces aériennes des deux pays les survolèrent, mais ils étaient incapables de voir à travers l’épais voile de poussière et de fumée qui s’échappait des chars détruits. Au sol, les commandants étaient dans l’impossibilité de garder trace des développements et la bataille dégénéra rapidement en un nombre incalculable que combats isolés, souvent à courte distance. Les combats durèrent toute la journée, et le soir les derniers tirs étaient échangés alors que les deux côtés se désengagèrent. Les pertes allemandes et soviétiques se montèrent à environ 300 chars pour chaque camp.
Cependant, la description de la bataille de Prokhozovka fut démontrée comme étant une invention de la propagande soviétique. Elle a été notamment décrite sur de grandes fresques. Ce fut une victoire soviétique seulement dans un sens, l’attaque allemande ayant été stoppée. La plupart des tanks soviétiques furent détruits par des tirs de longue portée, et relativement peu furent impliqués dans des échanges de tirs à courte distance. Les pertes allemandes étaient relativement légères et durant presque toute la journée les assaillants combattirent en bon ordre.
Les pertes soviétiques étaient de 322 chars, parmi lesquels plus de la moitié à l’état d’épave, plus de mille morts et 2 500 disparus ou blessés en sus. Les pertes allemandes étaient inférieure de 20 % à cela. Les Allemands avaient cependant planifié d’être à l’offensive et ils ne purent l’appliquer.
Continuer ou pas ?
L’issue de la bataille globale (de Koursk) était encore incertaine. Les forces allemandes dans l’aile la plus au sud étaient épuisées et sévèrement réduites, mais en même temps faisaient face à des défenses également faibles et étaient en excellente position, dégagées d’ouvrages défensifs et sans opposition entre eux et Koursk. Des renforts étaient prêts à être engagés lorsqu’elles atteindraient la ville. Peut-être la bataille pouvait encore être gagnée.
L’arrêt de l’offensive allemande
Le 11 juillet, alors que se déroulait le débarquement des forces anglo-américaine en Sicile dans le cadre de l' »Opération Husky », Hitler appela von Kluge et von Manstein dans son bureau de commandement en Pologne et déclara qu’il faisait cesser l’offensive. Von Manstein était furieux, et répondit qu’avec un dernier effort, la bataille pouvait être emportée. Hitler n’accepta rien, notamment parce que que les Soviétiques avaient lancés leur contre- offensive au nord.
Quelques unités allemandes furent immédiatement envoyées en Italie, et seules des attaques réduites continuèrent dans le sud, pour se débarrasser des forces soviétiques coincées entres les deux armées allemandes.
Contre-offensive soviétique
Bien qu’ignorant le changement des plans de Hitler, les Soviétiques percevaient bien l’arrêt des attaques près de Koursk. Les Soviétiques mirent alors leurs plans pré-Zitadelle en action. Le 15 juillet les attaques sur Orel furent lancées avec le déclenchement du front central soviétique. Les Allemands reculèrent sur la ligne Hagen partiellement préparée à la base du saillant. Les forces allemandes furent envoyées du sud vers le nord pour aider à couvrir la retraite. Bien que les Allemands qui reculaient infligèrent des pertes sévères à l’Armée rouge, c’était la première fois qu’il y avait une avance soviétique pendant l’été, augmentant radicalement le moral des Russes.
Dans le sud, les Soviétiques avaient besoin de plus de temps pour se regrouper après la défaite cuisante qu’ils avaient reçue en juillet et ne purent lancer leur contre-attaque avant le 3 août. Aidés par les attaques de diversion plus au sud ils furent capable de prendre Belgorod difficilement conquise par von Manstein. La capture de Belgorod et d’Orel fut célébrée à Moscou par des feux d’artifices, une pratique qui devint à partir de ce moment une institution avec chaque ville reprise. Ils atteignirent Kharkov le 11, une ville qu’Hitler disait qu’il défendrait à tout prix. Les unités allemandes étaient alors très fatiguées, s’étant battues chaque jour pendant plusieurs semaines. Leur capacité en homme avait été réduite et ils manquaient d’équipement. Le 20, toutes les forces allemandes dans la région durent se retirer.
Fin de la bataille
Le 22 août, les deux forces étaient totalement épuisées et les combats se terminèrent (officiellement). La bataille n’était pas une victoire nette pour les Soviétiques qui avaient souffert de beaucoup plus de pertes que les Allemands. Cependant ces derniers pour la première fois avaient perdus des territoires substantiels pendant l’été et n’avaient pas été capables d’atteindre leurs objectifs. Un nouveau front s’était ouvert en Italie, dispersant leur attention. Les deux belligérants eurent des pertes, mais seuls les Soviétiques avaient les réserves en hommes et en production industrielles suffisantes pour récupérer complètement, sans parler de l’aide très conséquente qu’ils obtenaient de la loi Lend-Lease (Prêt-bail) des États-Unis d’Amérique, incluant les très efficaces Jeeps et camions. Les Allemands ne reprirent jamais l’initiative après Koursk.
Les pertes étaient énormes. Du côté soviétique, on dénombrait plus de 250 000 tués et 600 000 blessés. Les Allemands perdirent 500 000 hommes (tués et blessés) et 980 chars. L’Armée Rouge avait également perdu beaucoup de blindés, mais put s’en remettre grâce à sa production industrielle, contrairement à l’armée allemande.
Hitler s’impliquera plus dans les détails des opérations suivantes, à l’inverse de Staline, ce qui se révèlera une erreur.
Sources : François de Lannoy, La Ruée de l’Armée Rouge, Heimdal, Octobre 2002 et http://fr.wikipedia.org/
Carte : Catherine et Jacques Legrand dir. Chronique de la Seconde Guerre mondiale. Éditions Chronique, novembre 2002