France
Date : 6 juin 1944.
Les sanglots longs des violons de l’automne, blessent mon cœur d’une langueur monotone. Ces vers de Verlaine furent prononcés à la BBC les 1er (à 21 h, heure anglaise) et 5 juin 1944 (22 heures, toujours heure anglaise). Les journalistes se sont arrêtés au mot « automne » ce qui signifiait « ils arrivent bientôt » (message répété les 2 et 3 juin). La suite fut communiquée le 5 juin ; elle annonçait dès lors l’arrivée des Alliés en France.
L’opération Overlord
En janvier 1943 eut lieu la conférence de Casablanca. C’est lors de celle-ci que la décision fut prise d’organiser un débarquement en Europe de l’Ouest. Celui-ci s’effectuerait sur les côtes de Normandie (car elles étaient moins bien défendues que le reste du Mur de l’Atlantique) et porterait le nom de code « Overlord » (Suzerain). Il fut initialement programmé pour mai 1944. L’opération navale qui l’accompagnerait fut baptisée « Neptune ». Les objectifs à atteindre lors du débarquement furent fixés par le COSSAC. Cette opération regroupa le général Eisenhower (commandant suprême allié en Europe), son adjoint Sir Tedder, le général Montgomery (commandant des forces terrestres d’invasion), le général Leigh-Mallory (commandant de l’aviation en Europe de l’Ouest) et l’amiral Sir Ramsay (commandant des forces navales de l’opération Neptune suscitée). Les côtes normandes étaient défendues par le feld-maréchal von Rundstedt, (commandant en chef des armées de l’Ouest), par le maréchal Rommel (commandant du groupe d’armée B au nord de la Loire) et par le général Hausser (commandant de la VIIe armée allemande basée en Normandie et sous les ordres de Rommel).
Pour que le débarquement réussisse, il était nécessaire de prendre l’ennemi à contre-pied. C’est dans cette optique que fut mise sur pied l’opération « Fortitude » qui consistait à faire croire aux Allemands que le débarquement aurait lieu soit en Norvège soit dans le Pas-de-Calais par une désinformation continuelle (fausses émissions radio, reconnaissances aériennes, destruction d’ouvrages par la Résistance, etc…). Le débarquement demandait aussi la création de nouveau matériel de guerre. On fabriqua donc les « Landing Ship Tank » (LST), « Landing Craft Infantry » (LCI) et « Landing Craft Assault » (LCA). Ils étaient tout spécialement conçus pour s’échouer sur les plages. Les premiers chars lance-flammes alliés furent créé, ainsi que les chars démineurs munis de chaînes à l’avant pour frapper et faire sauter les mines à distance. Il fut également érigé des ponts artificiels plus efficaces et plus rapides à installer.
Des milliers de soldats alliés se rassemblèrent en Grande-Bretagne où ils reçurent un entraînement spécial en vue du débarquement. Des simulations grandeur nature eurent lieu sur les plages anglaises, et les soldats apprirent comment occuper un petit village et en déloger l’ennemi.. Les Alliés se servirent aussi d’informations collectées lors d’opérations passées, en particulier lors du débarquement de Dieppe. Celui-ci avait été un échec cuisant et avait prouvé qu’il était impossible de prendre un port de front. Il fut donc décidé que les Alliés construiraient leurs propres ports, il s’agit du projet Mulberry.
Cette opération requérait de nombreuses informations, il fut donc lancé une vaste campagne de missions de reconnaissances aériennes qui durèrent des mois. La Résistance envoya énormément de rapports sur les forces et fortifications allemandes. Ces rapports permirent aux Alliés d’établir que sur les 200 km de côtes allant de Barfleur à Antifer, on comptait plus de 1 000 ouvrages (postes de tirs ou de commandement, stations radars, blockhaus, etc…) et plus de 150 canons de gros calibres.
Toutes ces fortifications étaient sous les ordres de Rommel qui disposait de 40 000 soldats et de 500 chars. Mais il y avait un différend au sein de l’état-major allemand. Rommel voulait repousser les Alliés à la mer mer avant même qu’ils aient pu débarquer. Il voulait que cela se fasse vite pour ne pas leur laisser le temps de prendre pied sur les plages. Il prévoyait que cela durerait une journée (il déclara d’ailleurs le 21 avril 1944 : « Pour les Alliés comme pour nous, ce sera le jour le plus long »). Von Rundstedt, quant à lui, considérait le Mur de l’Atlantique comme un « bluff gigantesque ». Il préconisait de laisser les Alliés débarquer et établir une tête de pont pour ensuite les attaquer avec une grande force blindée. Il partait du principe que les Alliés ne pourraient pas débarquer assez de matériel pour combattre une attaque massive de blindés. Cette opposition va profiter aux Alliés qui gagnèrent du temps.
Les forces de débarquement
Nous sommes maintenant le 6 juin 1944, baptisé D-Day (Jour-J). Neuf divisions prirent part au Débarquement de Normandie, six sur les plages (trois brigades de chars et deux de commandos) et trois dans les airs. Au total, 173 000 hommes vont participer au débarquement. La force alliée comprenait 5 000 embarcations d’assaut, 1 300 navires marchands, 1 200 navires de guerre, 1 900 avions de transports, 800 planeurs, 10 000 bombardiers et chasseurs et 20 000 véhicules. Ils avaient mobilisé le XXe groupe d’armées (soit la IIe armée britannique et la Ière armée américaine). Le débarquement devait avoir lieu le 5 juin mais fut repoussé au 6 à cause de la météo. Cela sema le doute chez de nombreux soldats des forces aéroportées qui durent débarquer de leurs appareils. La Ière armée américaine (commandée par le général Bradley) débarquerait à l’ouest de la tête de pont, sur les secteurs baptisés Utah et Omaha. Ceux-ci s’étendaient respectivement de Saint-Germain-de-Varreville à Saint-Côme-du-Mont (Manche), et de Colleville-sur-Mer (Calvados) à Vierville (6,5 km).
La IIe armée britannique (commandée par le général Dempsey), qui comprenait également les 177 Français du commando Kieffer, débarquerait sur les secteurs Gold, Juno et Sword (à l’embouchure de l’Orne). Ceux-ci s’étendaient respectivement de Ver-sur-Mer à Asnelles, de Saint-Aubin à Courseulles et de Colleville-Montgomery à Hermanville. Les parachutistes britanniques de la 6e division aéroportée étaient chargés de prendre les ponts sur l’Orne et de faire sauter ceux de la Dives. Les 82e et 101e divisions aéroportées américaines devraient faire sauter les ponts dans le secteur de Sainte-Mère-Église et les débouchés des plages du secteur Ouest. Ils devraient également détruire les canons allemands bombardant les plages d’Utah et d’Omaha. Passé minuit, des milliers de parachutistes américains furent largués dans le ciel normand.
Les premières forces amphibies américaines atteignirent les plages normandes à 6h25 et les forces anglo-canadiennes rejoignirent leurs secteurs à 7h25. Pendant ce temps, la BBC diffuserait des dizaines de messages à l’attention des résistants français qui se tenaient sur le pied de guerre.
Le 6 juin 1944, plus de 175 000 personnes font « officiellement » partie de la Résistance française, ce qui constitue un formidable appui derrière les lignes ennemies. Durant la matinée, 950 sabotages ferroviaires auront lieu (sur les 1 050 prévus), énormément de routes seront bloquées et des dizaines de lignes téléphoniques seront coupées, paralysant ainsi les communications allemandes et retardant l’arrivée des renforts vers la Normandie.
Les plages du débarquement
Utah beach
Les bombardements de la nuit permirent de neutraliser la batterie de Saint-Marcouf. La première vague d’assaut débarqua sur la plage à 6h30. Une tête de pont fut établie de Sainte-Mère-Église à Sainte-Marie-du-Pont. 200 soldats américains furent tués sur les 23 250 arrivés. 1 700 chars et véhicules furent également débarqués. Les 82e et 101e aéroportées avaient été parachutées à l’arrière de la plage à 0h15. La 101e atterrit dans les secteurs inondés des marais de Carentan. Mais 1 000 hommes (soit 1/5 de la 101e) réussirent à prendre la batterie de Saint-Martin-de-Varreville et bloquèrent les routes menant à la plage. Seuls 40 % des effectifs de la 82e réussirent à se rassembler, mais ils parvinrent tout de même à prendre Sainte-Mère-Église et Sainte-Marie-du-Mont.
Omaha beach
Les soldats commencèrent à débarquer à 6h30. Ils arrivèrent sur une plage parsemée d’obstacles et sous un feu nourri. Le hasard joua en faveur des Allemands qui avaient prévu un exercice anti-invasion cette nuit là. Ils étaient donc sur le pied de guerre. Les mauvaises conditions météos provoquèrent la perte de beaucoup de péniches transportant des blindés, tandis que d’autres péniches dérivèrent loin de leurs objectifs. De plus, les bombardements aériens et navals avaient ratés leur cibles principales. Les Américains débarquèrent donc un peu partout, moins nombreux et sans blindés et durent affronter une grande force anti-invasion. Plus de 40 % des soldats de la première vague d’assaut furent tués ou blessés. Les Alliés mirent 1h30 à sortir de l’eau et à prendre position sur la plage. Ce fut un véritable massacre, et cette plage fut baptisée « Bloody Omaha » (« Omaha la Sanglante »). Les combats se poursuivirent dans la soirée et Vierville, Colleville-sur-Mer et Saint-Laurent furent libérées dans la nuit. Les soldats purent établir une tête de pont de 2 km de profondeur et de 8 km de large. 1 000 des 34 000 soldats débarqués furent tués.
La pointe du Hoc
Le flanc est de la falaise fut prit d’assaut à 7h10 par les 225 Rangers du colonel Rudder, leur objectif étant de neutraliser la batterie qui se trouvait à son sommet. À 7h30, les Rangers étaient en possession des casemates, mais il n’y avait plus de canons, ceux-ci ayant été changés d’emplacement par les Allemands. Ces deniers lancèrent alors une contre-attaque rageuse qui se prolongea pendant 36 heures durant lesquelles les 155 Rangers encore valides résistèrent vaillamment aux Allemands. Seuls 90 Rangers sortirent indemnes de ce combat.
Gold beach
Les Britanniques commencèrent à débarquer à 7h25. Beaucoup de blindés furent détruits par les mines et les canons allemands, mais les soldats britanniques réussirent à se frayer un passage. La batterie de Longues fut neutralisée en fin de journée. 413 hommes furent tués ou blessés sur les 25 000 débarqués. Les Britanniques purent rejoindre les Canadiens de Juno à Creully.
Juno beach
La mauvaise météo retarda le débarquement de Juno, qui n’eut lieu qu’à partir de 7h55. 24 000 soldats (15 000 Canadiens et 9 000 britanniques) débarquèrent sur la plage. Malgré la perte de nombreux blindés, Bernière-sur-Mer fut libérée à 9h30 et Courseulles à 10h. Le fortin de Saint-Aubin fut pris à 11h30. Une tête de pont fut créée le soir. Celle-ci allait de Creully à Anguerny en passant par Fontaine-Henry.
Les Allemands parvinrent à arrêter les Alliés à la station radar de Douves et empêchèrent la prise de l’aérodrome de Carpiquet. 304 hommes furent tués, 574 blessés et 47 prisonniers. La plage de Juno servit ensuite de débarcadère aux hommes d’importance : Churchill y débarqua le 12 juin, De Gaulle le 14 et le roi Georges VI le 16.
Sword beach
Les troupes britanniques lancèrent l’assaut à 7h30. Les navires et avions alliés avaient bombardé les positions allemandes toute la nuit, mais les soldats allemands réussirent tout de même à ralentir conséquamment les Britanniques. Hermanville fut libérée à 10h, mais les combats coûtèrent aux soldats britanniques 604 tués et blessés. Ils parvinrent à libérer Lion le lendemain. Les 177 soldats français du premier bataillon de fusiliers marins arrivèrent à Collevile-sur-Orne à 8h45.
Ils parvinrent ensuite à neutraliser les fortifications de Riva-Bella. À 13h30, ils rejoignirent la 6e division aéroportée à Bénouville. 28 845 soldats avaient débarqué à Sword. La tête de pont qu’ils établirent passait par Périers-sur-le-Dan, Biéville-Beuville et Blainville.
Les 130 paras de la 6e divisions aéroportée britannique prirent les ponts de Bénouville (Pegasus bridge) et de Ranville durant la nuit du débarquement. À 3h, une cinquantaine de planeurs larguèrent 1 000 soldats qui leur apportèrent leur aide. La batterie de Merville fut prise au matin par 150 hommes, mais elle retomba ensuite aux mains des Allemands qui réussirent à la conserver jusqu’au 18 août. Les Alliés construisirent les ports artificiels de Saint-Laurent-sur-Mer (détruit lors d’une tempête qui dura du 19 au 22 juin) et d’Arromanches (finalisé le 19 juillet et qui fut utilisé jusqu’en automne 1944).
Conclusion
Durant l’opération, les pertes des Américains s’élevèrent à 6 603 soldats, celles des Anglais à 3 000, celles des Canadiens à 946 et le commando Kieffer eut 21 tués et 93 blessés. Les Alliés perdirent donc plus de 10 660 hommes (tués, blessés, disparus ou fait prisonniers) mais réussirent à établir une tête de pont en France. Les Allemands, quant à eux, souffrirent de la perte de 6 500 des leurs. Globalement, le débarquement de Normandie était une réussite, même si certains objectifs ne furent pas atteints le jour même, tel que la prise de Caen et la liaison entre les plages du débarquement.
Un soldat allemand, témoin du débarquement, avoue son désarroi : « Nous avions beau avoir vingt ans et afficher l’insouciance de notre âge, nous savions tous que la fin approchait. Dans la soirée du 6 juin, il était devenu clair que les envahisseurs avaient pu mettre pied sur les plages de la lointaine Normandie, que le « Mur de l’Atlantique » n’avait pas tenu ses promesses.« .
Pour lire le message de Eisenhower destiné aux troupes alliées débarquant en Normandie, cliquez ici (anglais).
Pour lire un message top secret écrit par Eisenhower le Jour J, cliquez ici (anglais).