Yamamoto, Isoruku (1884-1943)

Né le 04 avril 1884 à Nagaoka dans un milieu modeste, il reçoit sur le tard le prénom d’Isoruku (en japonais : « cinquante-six « ) de la part de son père Teikichi Takano, fier d’avoir eu un fils à l’âge de 56 ans.

Le futur grand Amiral de la Flotte suit très vite une formation pluridisciplinaire liée sans doute au fait que son père est professeur d’école. Il apprend les arts martiaux à l’école de Nagaoka, où il effectue des entraînements sportifs intensifs. Son père lui enseigne l’art de la calligraphie chinoise, tandis qu’il découvre l’anglais grâce à des missionnaires américains. Attiré par la mer dès l’adolescence, le jeune homme entre à l’École navale d’Etajima en 1901, reçu 3ème sur 300 alors qu’il n’est âgé que de 17 ans. Il en sortira trois ans plus tard, muté sur le Nisshin à l’occasion de la guerre russo-japonaise. Le 27 mai 1905, au cours de la fameuse bataille de Tsushima par laquelle la Marine impériale dirigée par l’amiral Togo écrasera la Flotte du Tsar, Yamamoto manque d’être tué par la faute d’une batterie défectueuse. Le jeune officier devra être amputé de deux doigts de la main gauche, récoltant au passage près de 120 éclats de métal qu’il n’hésitera pas à exhiber plus tard, prétendant en diverses occasions que ses cicatrices résultent de la chute d’un obus russe sur son navire…

Isoruku Yamamoto

Isoruku Yamamoto

Un autre événement a marqué sa vie : il se retrouve orphelin à l’âge de 20 ans. La plus riche famille locale, le clan Yamamoto, éteinte depuis 1883, décide de l’adopter. Isoruku y gagnera les droits à une tombe seigneuriale et un blason de famille…

De 1907 à 1908, Yamamoto passe par l’École des Torpilles, et reçoit le grade de lieutenant de vaisseau. Nouvelles études à l’Ecole navale en 1914, puis affecté deux ans plus tard à l’état-major de la Deuxième Flotte. En 1917, on le retrouve au Second service du Bureau des Affaires militaires, et deux ans plus tard part pour les États-Unis, où il restera deux ans à étudier à Harvard. Il y apprendra également à jouer au poker, et finira par devenir imbattable. Après tout, n’est-il pas expert en calligraphie chinoise ? Egalement devenu expert dans le jeu d’échecs (il disputera même, dit-on, une partie de 26 heures), il rapportera des États-Unis certaines nouvelles conceptions sur le rôle de l’aviation, ayant lu au passage les théories du général Mitchell, apôtre américain du bombardement stratégique.

De retour au pays, Yamamoto est contraint d’épouser Reiko Misashi. Le ménage ne sera pas heureux – le jour où on lui présenterait sa fiancée, Yamamoto exposerait à sa future belle-mère une liste recensant méthodiquement les défauts de sa fille… -, bien que son épouse lui donne quatre enfants. Yamamoto reste un tombeur, multipliant les conquêtes. Heureux au jeu comme en amour, il trouvera la femme de sa vie en la personne d’une geisha de Tokyo, Chiyoko, avec qui il entretiendra une correspondance passionnée.

En attendant, la carrière de Yamamoto se poursuit. De 1925 à 1928, il est attaché naval de l’ambassade du Japon à Washington DC, avant de prendre le commandement du croiseur IJN Isuzu, puis du premier grand porte-avions de la Flotte impériale, le IJN Akagi. Il se trouve de plus en plus convaincu que l’avenir de la guerre navale appartient aux porte-avions. Une opinion qu’il s’est forgée bien avant. Dès 1915, il avait déclaré à un journaliste américain que « le navire le plus puissant sera, dans le futur, celui qui sera capable de transporter des avions ». Mais peu d’officiers nippons sont encore de son avis.

1930. Yamamoto est nommé contre-amiral, à la tête des services techniques de l’aéronavale. Avec son collègue Toyoda, il représente le Japon à la conférence de Londres sur le désarmement naval, mais échoue à obtenir la parité entre la flotte américaine et la flotte japonaise. Le Premier Ministre japonais, pour avoir ratifié cet accord, sera assassiné. Yamamoto échouera une fois de plus en 1934, à l’occasion de la seconde conférence de Londres. Bien que tombé en disgrâce, il est affecté en 1935 à la tête du Service central de l’Aéronautique navale à Tokyo, et en profite pour bloquer le programme de construction de quatre cuirassés géants, invoquant la primauté des porte-avions. Hautement réputé pour ce choix stratégique à contre-courant, Yamamoto entre au gouvernement en 1936, en tant que vice-ministre de la Marine. Il développe l’aéronavale nippone à un haut degré de formation.

En 1939, en désaccord avec la politique gouvernementale d’alliance avec l’Allemagne hitlérienne, Yamamoto quitte le gouvernement et devient chef de la Flotte combinée, qu’il dirige depuis le IJN Nagato, laissant la place à l’amiral Nagano. Il assiste impuissant à la dégradation de la situation diplomatique internationale, et, conscient du caractère inévitable d’un conflit avec les États-Unis, envisage de modifier toute la stratégie militaire japonaise, jusque là basée sur un affrontement en haute-mer avec l’US Navy. L’Amiral estime en effet que la Flotte japonaise ne peut espérer l’emporter que si elle terrasse l’adversaire en un seul coup maître, et l’unique possibilité de parvenir à un tel résultat consiste en l’annihilation de l’US Pacific Fleet basée à Pearl Harbor, à plus de 5.000 km du Japon !

Profondément influencé par le raid de l’aéronavale britannique sur le port italien de Tarente (novembre 1940), Yamamoto songe à une opération du même type pour attaquer la base américaine. Conscient que son plan ne fera pas l’unanimité parmi les cercles dirigeants de l’Empire et même de la Flotte, il le présente d’abord à quelques conseillers pour en évaluer la fiabilité. Le 05 septembre 1941, après de multiples tests et examens théoriques, l’amiral expose ses intentions à l’état-major de la Marine dirigé par l’amiral Nagano, qui y agrée enfin. Le 13 novembre, il annonce à ses officiers que la date de l’attaque est fixée au 08 décembre (07 décembre, heure de Washington DC). La Flotte expéditionnaire, sous le commandement de l’amiral Nagumo, effectuera un long périple à travers le Pacifique Nord, bien moins surveillé et fréquenté, et tombera sur Pearl par surprise, un dimanche – jour où toute la US Pacific Fleet se trouve réunie dans le port. Faute de moyens, il n’y aura pas de débarquement à Oahu. Le 26 novembre, six porte-avions emportant plus de 350 appareils, deux cuirassés, trois croiseurs, neuf destroyers, le tout accompagné de navires ravitailleurs et de 26 sous-marins océaniques, prennent la route des Hawaii. Yamamoto a bien pris soin de rappeler qu’en cas de succès des négociations avec les Américains, la Flotte aurait à faire demi-tour. On connaît la suite.

Lire : l’attaque surprise de Pearl Harbor.

La réussite du raid fait de Yamamoto l’un des hommes les plus populaires du Japon – alors qu’aux États-Unis on le considère déjà comme un génie du mal. Malheureusement pour l’amiral, l’aéronavale nippone n’a pas rempli tous ses objectifs : les dépôts de carburant ont été épargnés, et les porte-avions américains se trouvaient en mer. Pire : le retard pris par l’ambassade japonaise à Washington dans la remise de la déclaration de guerre accroît la furia americana à l’encontre de la « traîtrise » nippone.

L’idée de Yamamoto est désormais, outre de permettre la conquête de l’Asie du Sud-Est, d’éliminer définitivement l’US Navy au cours d’un second affrontement décisif. Ainsi le Japon aurait consolidé sa position dans le Pacifique, et pourrait imposer des négociations à l’Amérique. Mais les querelles stratégiques régnant au sein des états-majors japonais l’empêchent de mener son plan à bien. Le raid aérien effectué par le colonel James « Jimmy » Doolittle sur Tokyo, le 17 avril 1942, achève de confirmer l’option stratégique de Yamamoto. S’il consent à dépêcher une force expéditionnaire en Mer de Corail pour aggraver l’isolement de l’Australie, opération qui se soldera par un échec coûteux (08 mai 1942), il ne perd pas de vue son objectif essentiel : la destruction des porte-avions américains. Un plan remarquable par sa complexité est monté contre l’île de Midway, qui ouvre la porte d’une invasion pour l’archipel des Hawaï. Alors que des porte-avions légers prendront d’assaut les îles Aléoutiennes, le gros de la Flotte combinée attaquera cette île située à mi-distance du Japon et du continent américain. Yamamoto espère y attirer les dernières réserves de l’US Pacific Fleet pour les envoyer par le fond.

Ce projet, le plan « Mi », s’achève par un désastre. Une trop grande confiance en soi chez les Japonais dans son élaboration, un haut-commandement comme sclérosé dès qu’il s’agit de le mettre en application, une pugnacité extraordinaire de la part des Américains et peut-être aussi une certaine part de chance sont à l’origine du plus spectaculaire retournement de situation militaire de la guerre. Quatre porte-avions japonais seront envoyés par le fond, alors que les États-Unis ne déplorent la perte que d’un bâtiment de ce type. Le chef de la flotte japonaise ne perd toutefois pas espoir et compte bien attirer les navires américains vers l’Ouest, pour mieux les anéantir au cours d’un combat de nuit qui engagerait les cuirassés et les croiseurs lourds de l’Empereur. Peine perdue : l’amiral américain Ray Spruance, une fois la flotte d’invasion repoussée, se retire vers l’Est. Une prudence qui frustrera Yamamoto d’un succès destiné à effacer la perte de son aéronavale…

L’amiral nippon a commis, en l’occurrence, l’erreur de diviser ses forces. Cette erreur, il la commet de nouveau lors des affrontements pour Guadalcanal, dont l’enjeu est de maintenir les liens de communications entre l’Australie et le « monde libre ». Décision que beaucoup lui reprocheront par la suite, il refuse d’y engager le gros de la Flotte combinée, alors qu’au second semestre 1942 elle conserve encore une certaine supériorité numérique sur son adversaire. Sans doute le cœur n’y est-il plus. Yamamoto avait promis six mois de victoires à Tokyo en cas de guerre dans le Pacifique et de succès à Pearl Harbor. Au delà…

Le leader naval le plus brillant du Japon ne sera pourtant pas là pour assister à la destruction de l’Empire. Le 18 avril 1943, alors qu’il effectue une tournée d’inspection dans les îles Salomon, son avion, un bimoteur Mitsubishi de type I, est abattu par des P-38 américains. Une balle lui traverse la gorge. Le cadavre, retrouvé le lendemain par les patrouilles de recherche de l’armée japonaise, sera transporté dans le plus grand secret à la base navale de Truk. La mort de l’amiral japonais est dissimulée au public jusqu’au 21 mai 1943, date de l’arrivée du corps à Tokyo. Les Américains avaient décrypté les messages codés nippons révélant la venue de Yamamoto dans l’archipel des Salomon. L’amiral Nimitz avait proposé cette exécution à Roosevelt, qui s’était montré d’accord, ainsi que Frank Knox, le Secrétaire d’État à la Marine, qui avait au préalable consulté des prêtres pour discuter de l’aspect moral d’une telle initiative.

Le 05 juin 1943, une partie des cendres du chef de la Flotte impériale est enterrée au parc Hibiya, à Tokyo. Plus d’un million de Japonais assistent à la cérémonie. Deux jours plus tard, le reste des cendres et enterré à Nagaoka, où vit une sœur du défunt.

La mort de Yamamoto plonge l’Empire dans l’abattement. Le Japon a perdu peut-être le seul homme encore capable de tirer de la Marine le meilleur d’elle-même.

 

Source : http://www.1939-45.org/